Les autres recours judiciaires : les garanties d’indépendance
Les recours devant la Cour supérieure
En 2008, l’Association des juges du Tribunal administratif du Québec (AJATAQ) dépose un recours judiciaire demandant de meilleures garanties d’indépendance par l’instauration d’un comité indépendant de rémunération. Dans les années qui suivent, des associations de juges administratifs d’autres tribunaux administratifs (Commission des lésions professionnelles, Commission des relations du travail et Régie du logement) s’adressent à la Cour supérieure pour faire déclarer invalide le système de mandats à durée fixe. Au nom de l’indépendance judiciaire, les juges administratifs demandent aussi l’instauration d’un comité externe aux fins de déterminer leur rémunération.
Dans une décision rendue en 2011 impliquant l’Association des juges administratifs de la Commission des lésions professionnelles, la Cour supérieure déclare que le processus de renouvellement des mandats des juges de la CLP ne satisfait pas aux exigences d’indépendance et d’impartialité que requièrent leurs fonctions. La Cour en vient à la conclusion qu’il y avait une faible distance entre le spectre de l’indépendance entre la CLP et le TAQ, qu’il n’y avait pas lieu que ces deux tribunaux soient traités si différemment au niveau de ces garanties, notamment et surtout quant à la durée du mandat. La Cour était d’avis que les juges administratifs de la CLP devaient être nommés durant bonne conduite.
Dans son jugement, le juge Jean Lemelin écrit que la plus grande stabilité qu’assure une nomination durant bonne conduite ne peut que permettre aux juges de la CLP d’exercer leurs fonctions en toute indépendance à l’égard du gouvernement, qui est chargé de renouveler ou non leur mandat.
Quant à la rémunération, le juge Lemelin déclare que la décision gouvernementale d’annuler la progression des échelons salariaux et des bonis consentis aux juges est illégale puisqu’elle viole la disposition de la loi prévoyant qu’on ne peut réduire la rémunération consentie aux juges administratifs de la CLP. Il annule le décret, mais refuse de déclarer que le gouvernement est tenu de créer un mécanisme indépendant visant à établir la rémunération et les conditions de travail des juges administratifs, calqué sur ce qui existe pour les juges des tribunaux judiciaires.
Le procureur général porte le jugement en appel, ce qui a pour effet de suspendre les procédures des autres requêtes jusqu’à ce que la Cour d’appel se prononce sur le cas de la CLP.
Le dernier arrêt de la Cour d’appel
Dans une décision rendue par la cour d’appel, le 2 octobre 2013, la Cour d’appel infirme en partie le jugement rendu par la Cour supérieure le 1er avril 2011, sauf pour sa conclusion d’annuler le Décret 370-2010 du 26 avril 2010 (Décret), mais dans la seule mesure où ce décret a eu pour effet d’entraîner la réduction, en numéraire, de la rémunération de certains commissaires de la CLP.
La Cour d’appel énonce que la jurisprudence reconnaît que les tribunaux administratifs sont des entités qui ne font pas partie de la branche judiciaire de l’État, mais bien de sa branche exécutive.
Les garanties d’indépendance et d’impartialité visent à assurer au justiciable que sa cause sera jugée selon la règle de droit, c’est-à-dire librement, sans ingérence ou pression de qui que ce soit, et selon les faits de l’espèce. Les garanties doivent être telles qu’elles permettent de distancer les tribunaux administratifs des autres organes de l’exécutif.
Premier constat de la Cour d’appel : Les exigences d’indépendance et d’impartialité
Bien que les garanties d’indépendance et d’impartialité offertes par les tribunaux administratifs doivent être élevées, elles n’ont pas à être identiques à celles des cours de justice, car seules ces dernières bénéficient d’une protection constitutionnelle. Les garanties que doivent offrir les tribunaux administratifs découlent, quant à elles, des règles de justice naturelle, lesquelles sont susceptibles de varier selon la nature précise du pouvoir décisionnel en cause et ses modalités d’exercice. Dans l’affaire Bell Canada, rendue en 2003, la Cour suprême du Canada soulève également cette problématique.
L’indépendance au sens de l’article 23 de la Charte québécoise est l’indépendance structurelle du tribunal, à la fois individuelle et collective. C’est une norme souple qui s’inscrit dans un éventail de possibilités.
Deuxième constat de la Cour d’appel : Une indépendance et une impartialité modulable
Bien qu’elle comprenne l’inamovibilité, la sécurité financière et l’autonomie administrative, cette norme n’est pas toujours atteinte de la même façon. La situation de chaque tribunal doit être évaluée en fonction de la réaction du justiciable raisonnable et bien informé, qui étudierait la question en profondeur, mais de manière réaliste. Dans cette affaire, la Cour d’appel en vient à la conclusion que preuve n’a pas été faite qu’un justiciable raisonnable et bien informé, qui étudierait la question en viendrait à la conclusion que l’indépendance des juges serait affectée par leur mode de nomination, le processus de renouvellement de leur mandat et les conditions de fixation de leur rémunération.
La Cour d’appel en vient à la conclusion après examen des dispositions prévues aux articles 394 à 396 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, modifiées à la suite de l’arrêt Barreau de Montréal et celles prévues aux articles 25 à 29 du Règlement sur la procédure de recrutement et de renouvellement, elles aussi modifiées à la suite de cet arrêt, que ces dispositions offrent une protection conforme aux exigences de l’indépendance juridictionnelle. La procédure de renouvellement est conforme aux énoncés de l’arrêt Barreau de Montréal. Rien, en l’espèce, ne permet de conclure que les commissaires de la CLP ne bénéficient pas de garanties suffisantes d’indépendance et d’impartialité au chapitre de l’inamovibilité. La Cour note au passage qu’à la différence du TAQ, la CLP n’est pas constamment appelée à trancher des litiges auxquels l’État est partie.
La Cour d’appel conclut que le processus de renouvellement des mandats par une instance indépendante du Secrétariat aux emplois supérieurs, la possibilité pour le commissaire qui risque de voir son mandat non renouvelé de se faire entendre, est une garantie qui favorise l’indépendance du processus.
La Cour d’appel conclut également que l’arrêt Barreau de Montréal n’obligeait pas le législateur à offrir la nomination durant bonne conduite aux membres du TAQ. Il a fait ce choix pour les membres du TAQ, mais rien ne l’obligeait à faire de même pour les commissaires de la CLP. Une solution acceptable et non idéale s’impose.
La Cour écarte enfin l’idée que l’indépendance de la CLP par rapport à la CSST nécessiterait des garanties d’indépendance plus élevées.
Troisième constat de la Cour d’appel : La sécurité financière
Pour ce qui est de la question de la sécurité financière, la Cour note d’abord qu’il n’y a plus, depuis 2002, de lien entre l’évaluation de rendement du commissaire et sa rémunération pour les juges administratifs de la CLP.
Puis, elle revient sur l’arrêt Barreau de Montréal pour conclure que la sécurité financière des commissaires de la CLP est suffisamment assurée en l’espèce dans la mesure où :
o leur rémunération est qualitativement satisfaisante;
o l’évaluation n’a pas de lien avec la rémunération;
o leur rémunération ne peut être réduite;
o leur régime de retraite est assuré par la Loi sur les accidents du travail et maladies professionnelles.
Bref, le droit au traitement n’est pas sujet à l’arbitraire de l’exécutif et la pension ne dépend pas des bonnes grâces de l’exécutif.
Par ailleurs, le fait que les commissaires, lors de leur nomination, ne se voient pas tous attribuer la même rémunération n’est pas un obstacle à la reconnaissance de leur sécurité financière, bien que cela puisse susciter des inconvénients. Ce résultat ne résulte pas d’une décision arbitraire ou discrétionnaire d’un gestionnaire de l’État, mais bien de l’application d’une politique gouvernementale.
Quatrième constat de la Cour d’appel : La validité des décrets
Toutefois, la Cour en vient à la conclusion que le décret est contraire à l’article 404 de la LATMP, lequel prévoit qu’une fois fixée, la rémunération d’un commissaire ne peut être réduite. La Cour définit toutefois la rémunération comme la rémunération globale en numéraire d’un commissaire, qui ne peut être inférieure à celle qui lui a été attribuée l’année précédente, et non le pourcentage d’augmentation prévu par le décret pour les années subséquentes. La Cour rejette finalement l’idée de la création d’un comité indépendant chargé d’examiner la rémunération des commissaires.
Cinquième constat de la Cour d’appel : Autonomie administrative
Quant à la dernière garantie d’indépendance, la Cour estime que, bien qu’elle relève de la ministre du Travail et de certains contrôles administratifs gouvernementaux, la CLP conserve la main haute sur sa gestion juridictionnelle et possède, sur le plan administratif, toute l’autonomie voulue par la jurisprudence.
La Cour conclut qu’il serait souhaitable que le législateur harmonise le traitement de l’ensemble des tribunaux administratifs à vocation juridictionnelle.