La justice administrative : entre indépendance et responsabilité
Un état de la situation
Le 17 février 2014, une équipe de chercheurs universitaires composée de Pierre Noreau, Martine Valois, Pierre Issalys et France Houle dépose un rapport sur le système de justice administrative au Québec intitulé La justice administrative : entre indépendance et responsabilité – Jalons pour la création d’un régime commun pour les décideurs administratifs indépendants. Ce rapport est le fruit d’un travail de recherche et de réflexion s’étendant sur quatre ans.
Le rapport examine dans quelle mesure l’indépendance de ces décideurs est garantie. À cette fin, il fait le point sur l’état du droit, tel qu’il ressort de la législation québécoise, mais aussi des règles constitutionnelles. Il présente aussi les résultats d’une enquête auprès des décideurs administratifs eux-mêmes.
Selon les chercheurs, le citoyen doit aussi être assuré que le gouvernement, lequel finance ces organismes publics, fait preuve de transparence et de rigueur dans la gestion de ceux-ci et le choix de leurs membres. La nature particulière de ces « tribunaux » exige donc que soit maintenue une distance suffisante entre les décideurs et les pouvoirs, publics ou privés, susceptible d’avoir un intérêt dans les décisions qu’ils sont appelés à rendre, tout en préservant la responsabilité du gouvernement à l’égard du bon fonctionnement de ces organismes. Or, l’étude démontre que ni le droit ni les pratiques ne se conforment aujourd’hui à cet objectif.
Des régimes administratifs à géométrie variable
L’analyse des textes juridiques révèle en premier lieu que plusieurs tribunaux ou organismes ne sont pas affranchis de l’influence du pouvoir exécutif. Le gouvernement, sur la proposition d’un ministre, a le pouvoir de choisir et de nommer ces décideurs, d’édicter ou d’approuver les règles concernant leur statut et leur activité et d’approuver le budget mis à leur disposition. Ce contrôle ne permet généralement pas d’intervenir dans une affaire particulière, mais il peut menacer l’indépendance des décideurs de façon plus globale.
Par ailleurs, les nominations, tout comme les renouvellements de mandat et les révocations, ne sont pas toujours effectuées sur la base de la compétence, ni avec la rigueur et la transparence requises. Ainsi, pour 9 des 15 organismes étudiés, la loi n’exige aucune compétence particulière et n’impose aucun critère de sélection. C’est que le Québec, à la différence de certaines provinces canadiennes, ne dispose pas d’un régime unifié qui balise le processus de sélection des décideurs, exige de vérifier leur aptitude à exercer leurs fonctions et offre une garantie d’indépendance à l’égard de l’État et de toute source extérieure d’ingérence. Les conditions de travail de ces décideurs, leur rémunération, ainsi que leur encadrement déontologique, présentent la même absence d’homogénéité.
Plusieurs juges ayant participé à cette étude ont manifesté leur malaise à rendre une décision ayant un impact sur le gouvernement alors que la période de renouvellement de leur mandat est imminente. Il n’est pas normal, conclut en substance le rapport des chercheurs, qu’un décideur administratif indépendant ait à l’esprit le sort de sa carrière professionnelle lorsqu’il tranche un litige.
Conclusion : une réforme est urgente
Le rapport conclut à la nécessité d’une réforme substantielle du système de justice administrative afin que des règles législatives garantissant aux décideurs administratifs l’indépendance et l’impartialité auxquelles les justiciables sont en droit de s’attendre soient adoptées par le législateur.
Le rapport propose aussi le contenu d’une loi-cadre visant l’ensemble de ces décideurs et comportant les garanties d’indépendance indispensables à l’exercice de leurs fonctions. Cette loi-cadre, prenant appui sur les trois piliers de l’indépendance judiciaire, définirait des règles de sélection et de nomination des décideurs administratifs indépendants et prévoirait un processus de renouvellement des mandats des juges administratifs par une instance indépendante des influences politiques.
Le rapport suggère également de confier à un secrétariat indépendant le mandat de définir et superviser le recrutement de candidats à la fonction de décideur administratif ainsi que le renouvellement de leur mandat. Cette responsabilité serait donc retirée au Secrétariat aux emplois supérieurs (SES), organe du Conseil exécutif.
Le rapport recommande que tous les tribunaux ou organismes administratifs soient régis par la Loi sur la justice administrative afin d’uniformiser les règles qui les régissent et que les décideurs administratifs soient assujettis à une seule norme de conduite, sous l’égide du Conseil de la justice administrative du Québec.
Le rapport recommande enfin qu’une instance indépendante soumette des recommandations au gouvernement relativement aux conditions d’exercice de la fonction de décideur administratif.