Les trois piliers du principe d’indépendance judiciaire
Le premier pilier : l’inamovibilité
La première condition essentielle d’indépendance est qu’un juge ne puisse être révoqué pour un motif arbitraire, mais seulement pour une cause déterminée et raisonnable. Dans l’arrêt Valente, la Cour suprême du Canada définit ainsi l’inamovibilité : que la fonction du juge soit « à l’abri de toute intervention discrétionnaire ou arbitraire de la part de l’exécutif ou de l’autorité responsable des nominations. »
L’inamovibilité constitue l’antithèse de la nomination discrétionnaire ou arbitraire.
Pendant les débats sur son projet de loi 4 (qui n’a finalement jamais vu le jour), le ministre de la Justice Marc Bellemare affirmait que « l’Assemblée nationale peut décider de donner à certains juges administratifs qui sont dans des situations difficiles parce qu’ils tranchent des litiges entre de puissants organismes publics et le simple citoyen, une indépendance plus grande pour s’assurer que les juges […] ne se sentiront pas menacés ou ne sentiront pas la précarité de leur statut du fait que le mandat vient à échéance ».
Le deuxième pilier : la sécurité financière
La deuxième condition essentielle à l’indépendance des juges est la sécurité financière. Un décideur ne peut être véritablement indépendant que si sa rémunération est prévue par la loi, de manière à le mettre à l’abri des interventions arbitraires de l’exécutif.
Dans l’arrêt, Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale (Î.-P.-É.), la Cour suprême du Canada mentionne qu’il faut que la magistrature « soit protégée contre l’ingérence politique des autres pouvoirs par le biais de la manipulation financière, qu’elle soit perçue comme telle et qu’elle ne devienne pas empêtrée dans les débats politiques sur la rémunération des personnes payées sur les fonds publics. »
L’essentiel est que le droit au traitement soit prévu par la loi et « qu’en aucune manière l’exécutif ne puisse empiéter sur ce droit de façon à affecter l’indépendance du juge individuellement ou collectivement ». Pour les juges des cours ordinaires, la Cour a cependant prescrit que la loi doit prévoir une commission indépendante pour déterminer la rémunération des juges, dont les recommandations s’imposeront à toutes fins utiles au législateur.
Même si rien n’indique que cette exigence vaut pour les tribunaux administratifs, la Cour fédérale a soutenu que « les principes énoncés dans le Renvoi sur les juges […] s’appliquent aux tribunaux administratifs et peuvent être adaptés à ces derniers.»
Toutefois, dans l’arrêt Association des juges administratifs de la Commission des lésions professionnelles, rendu le 2 octobre 2013, la Cour d’appel du Québec a décidé que le fait qu’il n’y ait pas une telle commission indépendante, ne compromettait pas l’indépendance des juges administratifs de la CLP dans la mesure où les règles fixant leur traitement ne sont pas assujetties à l’arbitraire du pouvoir exécutif et leur pension ne dépend pas des bonnes grâces de ce dernier.
Le troisième pilier : l’indépendance institutionnelle
Enfin, la troisième condition est l’indépendance institutionnelle du tribunal. Il ne suffit pas de garantir l’indépendance des juges, il faut aussi tenir compte de celle de leur tribunal comme institution.
Pour évaluer « l’étanchéité » d’un tribunal aux influences extérieures, l’analyse de sa structure et de son statut s’impose, nous enseigne la Cour suprême du Canada. Il faut aussi considérer son degré d’autonomie et d’indépendance administratives dans les décisions qui ont une influence sur le travail des juges, comme le temps du délibéré ou l’assignation des causes.
Dans l’arrêt Valente, la Cour suprême du Canada rappelle que « Le justiciable qui se présente devant un tribunal administratif ou une cour de justice peut légitimement s’attendre à ce qu’un arbitre impartial dispose de ses prétentions (…) Tout comme dans le cas des tribunaux judiciaires, l’observateur bien renseigné évaluant la structure d’un tribunal administratif en viendra à l’issue de l’analyse à l’une des deux conclusions : il possédera une crainte raisonnable de partialité ou il en sera dénué. »
En 1999, le bâtonnier du Québec, Me Denis Jacques, affirmait : « Il ne doit pas y avoir deux catégories de justice, fruit de l’exercice de pouvoirs judiciaires, soit une grande devant les cours de justice et une petite devant les organismes et les tribunaux administratifs. »